"Voir l'archéologie comme on irait à la boulangerie" : à Noisy-le-Grand, une nécropole en plein centre-ville (2024)

Cheveux en bataille et chaussures poussiéreuses, Cyrille Le Forestier déborde de vitalité. Jouant les funambules au-dessus des squelettes de l’importante nécropole des Mastraits de Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis), l’archéologue de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) ne tient pas en place. «12 minutes de pause», lance-t-il à ses équipes, entre deux vannes.

Puis, voyant un petit groupe d’habitués s’agglutiner sur les barrières qui entourent son lieu de travail, l’homme de 50 ans a l’œil qui brille. «Ici, il reste une paire de jambes à fouiller, dit-il en désignant un creusem*nt. S’il vous en manque, il ne faut pas hésiter à se servir.» Les observateurs sont hilares et Cyrille Le Forestier repart d’un pas décidé vers la Maison pour tous Marcel-Bou, laissée à disposition des chercheurs durant le mois de juin.

Des squelettes de l’époque des Mérovingiens en pleine rue

Sous une tente où d’autres archéologues pianotent sur leurs ordinateurs, le cinquantenaire attrape un gobelet et y fait couler un café épais. «C’est l’une des spécificités de ce projet : tout est numérique, explique-t-il. Les archéologues qui font les fouilles rentrent leurs données sur un smartphone ou une tablette et, grâce à un serveur, elles arrivent directement ici. Cela permet d’avoir des notes propres. Il n’y a pas de papiers sur le site.»

Après avoir avalé une gorgée généreuse, Cyrille Le Forestier se dirige vers une tente adjacente, qui abrite un module de fouilles pédagogiques conçu par l’association de l’Archéologie des nécropoles (ADN). «Ce qui est rarissime, c’est que la nécropole est située en plein centre-ville. Au-delà de l’aspect scientifique, de nos publications, notre mission est donc de restituer ce patrimoine aux gens du coin, de rendre l’archéologie abordable.»

En traversant la rue des Mastraits pour retourner sur le site, l’archéologue salue plusieurs riverains qui le connaissent. «En juin, on a en général 1000 enfants sur le site. Des bénévoles font aussi des visites. On veut banaliser la matière, pour que cela soit comme d’aller à la boulangerie», argue-t-il.

À l’occasion des Journées européennes de l’archéologie (14 -16 juin 2024), pilotées par l’Inrap, sous l’égide du ministère de la Culture, de nombreuses activités y seront ainsi proposées. D’une initiation à l’anthropologie aux visites guidées, en passant par des lectures de contes mérovingiens.

Une nécropole de plusieurs milliers de tombes

Salarié à l’Inrap depuis 2002, l’homme à la barbe hirsute a participé à la première fouille de la nécropole en 2007. «C’est intéressant parce qu’il y a un suivi territorial, les gens me connaissent, on fait vraiment partie de la ville», commente-t-il.

Et de poursuivre : «Il y a également un suivi scientifique, puisque je suis là depuis le départ. On a découvert près de 900 sépultures des époques des Mérovingiens et des Carolingiens [de 500 à 1200, dit-il]. Et ce qui est fascinant, c’est qu’elles sont très bien conservées. On est habitués à voir les habits des rois de France, mais là c’est le peuple, les ‘vraies gens’. On arrive à déterminer l’âge, le sexe, les liens de parenté, etc Cela donne des informations sur la démographie. Il y a aussi des boucles de ceintures, des colliers en perles et de très beaux sarcophages qui permettent de comprendre comment les gens travaillent à l’époque.»

Même si certains aménagements urbains ne permettent pas d’en avoir le cœur net, la nécropole des Mastraits pourrait regrouper près de 5000 tombes, selon le spécialiste de l’Est francilien.

Une analyse approfondie de ce lieu atypique de la région parisienne devrait faire l’objet d’un livre courant 2026. «C’est tout l’intérêt de notre travail : produire de la matière pour des chercheurs. On publie régulièrement, mais un livre, cela peut toucher le plus grand nombre, tout en injectant des données scientifiques importantes.»

Infos pratiques
Journées européennes de l’archéologie, les 15 et 16 juin 2024
2 rue des Mastraits, à Noisy-le-Grand

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